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27/10/2007

Evasion

Pour changer , je vous propose une nouvelle : EVASION : Evocation d'un livre qui m'a particulièrement touchée.

Elle aussi là .

Aucun bruit, pas encore de néons aveuglants. Ce matin, Maureen est la première. Elle dépose ses affaires, allume son ordinateur et se rend dans la petite pièce préparer le café.

Ce n’est pas un percolateur, juste une cafetière, mais ces gestes la ramènent dans l’ambiance feutrée et électrique de « Chez Phillies » . Maureen l’imagine vaste ce bar, des tabourets hauts confortables, peut-être même en cuir rouge, assortis à la robe de Louise. Sur l’image d’après, ils sont plutôt en bois, un bois de qualité, d’un marron chatoyant. Là, ils correspondent plus à l’inconfort psychologique de Louise.

La cafetière fait entendre ses premières gouttes à gouttes, elle doit retourner à sa place ; Travailler.

Louise et sa complicité non dite avec Ben, le garçon de café : Il entend tout, sait tout mais ne donne jamais son avis, ou si discrètement, un sourire entendu, un regard très attentif, mais rien de plus. Il sait aussi s’éclipser quand il le faut, s’affairer à nettoyer le bar et on fait semblant d’oublier sa présence.

-          Bonjour, Maureen.

Maureen met quelques secondes à lever la tête et à apercevoir le collègue qui la salue. Durant environ trois quarts d’heure, elle va prononcer une vingtaine de « Bonjour », la journée se met en place. Au cours des années, elle a appris à se montrer polie et agréable, même envers ceux qu’elle n’aime pas.

Avec son caractère décrit comme spontané et dénué de rondeurs, Louise aurait été malheureuse et inadaptée à cette vie de bureau où la franchise n’est pas de bon ton. Il faut composer pour survivre.

Elle lit ses mails qui lui dictent les tâches de la journée. A chaque dysfonctionnement ou question sur l’application informatique qu’elle gère, les utilisateurs alertent Maureen par mail, et après avoir diagnostiqué, elle répond, résout. Très peu de vrais contacts humains, le téléphone et les mails sont ses vecteurs de communication.

En comparaison, elle se sent plus proche de Louise, de ses questions sur les hommes, comment aimer sans se faire piéger, comment croire aux mots. Dans son métier, d’auteur de théâtre, Louise sait comment manier, assembler  les mots pour donner l’illusion d’un dialogue vrai.

Des mails sont arrivés dans la boite aux lettres de Maureen, il lui faut abandonner la chaleur moite de « chez Phillies » pour retomber dans la réalité. Les quatre autres collègues de son espace de bureau sont arrivés. Ils s’interpellent sans se déplacer, que ce soit pour leur travail ou pour raconter une anecdote de leur week-end, les téléphones sonnent les uns après les autres. Heureusement, Maureen a la faculté de se concentrer et ne perçoit plus ce brouhaha quasi constant.

Entre deux problèmes à résoudre, Louise revient.

Ce Norman, cet homme marié, de qui Louise n’a rien exigé, lui a promis de quitter sa femme pour elle. Louise fait mine d’y croire mais tente aussi de se protéger d’une déception presque attendue. Louise est pétrie de contradictions. Maureen connaît cet état où une idée contradictoire à celle qu’elle vient d’avoir, afflue dans son cerveau, et où finalement tout se mélange

Ben admire cette jeune femme, belle, digne, artiste. Il voudrait tant la voir heureuse, avec un homme à sa hauteur, qui ne calcule pas pour la rendre amoureuse, qui ne manigance pas pour qu’elle reste, un homme qui la rende heureuse, tout simplement. Mais il n’a aucune influence sur sa vie, il est juste témoin, peut-être parfois miroir, un peu comme un psychanalyste qui, malgré ses silences, son attitude en apparence neutre incite le patient à écouter ses propres paroles et à avancer dans la compréhension de lui-même.

Pierre vient chercher Maureen pour descendre fumer une cigarette. Maureen abandonne Louise sur son tabouret, à siroter son martini.

Enfin un moment agréable, enrichissant. Elle aime discuter avec Pierre, ils échangent leurs idées sur toutes sortes de sujets, ils se racontent des pans de leur vie, s’ils le veulent. Un vrai rapport humain. Bien sûr dehors il fait froid mais c’est ainsi, maintenant les fumeurs sont parqués dans la cour intérieure pour consommer leur vice.

La pause est consumée, il faut remonter. D’autres incidents attendent Maureen mais heureusement, Louise est restée.

Et cet ex qui rapplique, comment Maureen aurait-elle réagi ? Situation délicate. Elle préfère observer comment Louise va accueillir cette nouvelle situation. Inévitablement, les anciennes douleurs refont surface ; n’aurait-elle pas fait le deuil de cette rupture ? Ce silence qu’elle s’est imposée ne ressemblerait-il pas à un déni ? Elle se retrouve coincée, entre ce Norman dont le coup de téléphone la fragilise par rapport à Stephen, la rend vulnérable, privée de la force d’une femme aimée et ce Stephen qui débarque et la met face à des questions qu’elle ne voulait plus se poser.

-          Maureen … Maureen !

-          Oh, oui, … Excuse-moi, j’étais concentrée

Un collègue vient lui poser une question professionnelle … à laquelle elle répond poliment, mais pourquoi la déranger alors qu’elle était si tranquille dans sa tête ! Mais que fait-elle ici, dans ce boulot qui ne lui apporte que de l’argent ?!

            Il veut quoi Stephen ? Il revient vers Louise, juste parce que son mariage a échoué ? Cinq ans après l’avoir quittée, sans élégance, pour une femme qu’elle connaissait, il réapparaît. Et sa souffrance à elle, sa vie actuelle, il en fait quoi ? C’est le même jour que Norman, son compagnon actuel,  choisit pour ne pas tenir sa promesse. Mais finalement, Louise est-elle influencée par le retour de Stephen en annonçant à son amant qu’elle ne veut plus le revoir ? Cette présence lui a-t-elle insufflé une certaine force  par rapport à lui?

Maureen ressent très fort la lassitude de Louise, qui peu à peu, ne trouve plus la force pour lutter contre cet ex qui vient la relancer. Elle baisse les armes. Elle accepte d’être à nouveau troublée par cet homme qu’elle a profondément aimé, elle ne le rejette pas en bloc. Elle leur  laisse le temps, peut-être de se redécouvrir, maintenant que les rancoeurs ont été exprimées sans ambiguïté. Chacun à sa manière a vieilli, ou plutôt grandi.

            Heureusement l’heure tourne et la journée de travail va bientôt s’achever. Maureen va pouvoir s’extraire de ce monde où elle ne trouve pas vraiment sa place. C’est comme un bocal où personne n’est vraiment lui-même et où pourtant chacun est confronté à la nécessite bien réelle de travailler.

Dans l’escalier qui mène à la sortie, elle croise quelqu’un à qui elle lance un « bonsoir » machinal.

-          Maureen !

En se retournant, elle lève les yeux sur Pierre.  

-          Ben, dis donc, tu es absorbée !

Maureen rit d’elle-même et de son repli sur elle-même.

-          Oh, excuse-moi… mais j’ai passé le journée avec Louise … et je suis tellement déçue d’avoir lu la dernière page hier soir !

La littérature est un de leurs sujets de conversation favoris, ils échangent des titres, des impressions, ils se conseillent des livres. Un véritable échange.

-          Oh là là ! C’est vrai que pour ma part, c’est le livre que j’ai préféré de Philippe besson.

-          Moi, il m’a totalement bouleversée ! C’est la deuxième fois que je le lis et à chaque fois, je déplore qu’il soit si court !

-          Bon, et tu sais ce que tu vas lire ce soir ?

-          Ce soir, je ne pourrai rien commencer de nouveau. J’ai besoin de digérer « Arrière saison » encore un peu.